Présidentielle: Suspense sur fond de forte abstention au premier tour
Le suspense monte dimanche en même temps que le taux d'abstention qui s'annonce plus important qu'en 2017: après des mois d'une campagne atypique, le score s'annonce incertain au premier tour de l'élection présidentielle, avec Emmanuel Macron et Marine Le Pen donnés en tête par les sondages, et Jean-Luc Mélenchon en embuscade.
Selon des estimations des instituts de sondage, l'abstention serait supérieure à celle d'il y a cinq ans de 4 à 6 points, entre 24% et 26,5%.
A 17H00, la participation s'est établie à 65%, soit 4,4 points de moins qu'en 2017 (69,42%) et 5,5 qu'en 2012 (70,59), selon les chiffres du ministère de l'Intérieur. Elle est toutefois largement supérieure à celle de 2002 (58,45%), année record pour l'abstention à un premier tour d'élection présidentielle.
- "Un peu désespérant" -
Les dernières enquêtes publiées dans la semaine promettaient entre 25 et 28% des voix au président sortant Emmanuel Macron, 21,5 à 24% à la candidate d'extrême droite (RN) et de 16 à 18% à l'Insoumis Jean-Luc Mélenchon -ces deux derniers ayant été en progression continue dans la fin de campagne.
La forte indécision des électeurs fait que les politologues n'excluent pas qu'une surprise puisse bousculer ce tiercé donné par les sondages.
En ce dimanche ensoleillé partout dans le pays, quelque 48,7 millions d'électeurs départagent les 12 candidats à l'Elysée. Le verdict des urnes est attendu à 20H00, avec les premières estimations des instituts de sondage.
Aux Minimes, quartier natal du chanteur Claude Nougaro proche du centre-ville de Toulouse, les habitants sont nombreux devant les bureaux de vote.
"On a toujours voté, et on force nos enfants à voter, sinon on les déshérite !", lance en riant Pascale Sylvestre-Baron, responsable pédagogique de 62 ans.
"Cette année est un peu spéciale, j’ai changé d’avis concernant mon vote à la dernière minute car je suis très inquiète. Inquiète aussi du taux d’abstention. Si les gens ne se mobilisent pas au premier tour après c’est trop tard. C’est un peu désespérant", poursuit la sexagénaire avant d’enfourcher son vélo.
Dans un petit commerce près d'un autre bureau de vote, cette fois dans le quartier populaire du Mirail, Lydie Maillot, elle, ne "voit pas l'intérêt de voter".
"J'avais toujours voté, mais là je suis vraiment lasse. Qu'est-ce que ça va changer, tout est écrit à l'avance, calculé. Mon vote ne comptera pour rien", estime la mère de famille de 42 ans, sans emploi.
- "Un droit qu'on ne veut pas perdre" -
A Marseille, les yeux pétillants de fierté, Ali Msaidie sort du bureau de vote de l’école élémentaire Saint-Charles 2, à proximité de la gare du même nom, dans un quartier populaire.
Il vient juste de déposer son bulletin dans l’urne, disposée dans une salle de classe décorée de dessins d’enfants puis de passer le hall où est accrochée une grande carte de France.
A 53 ans, c’est la première fois que cet accompagnant d’élèves en situation de handicap (AESH) a le droit de voter pour une élection présidentielle en France, pays où il vit depuis 21 ans.
"Je me suis battu tellement d’années pour être naturalisé, avoir la nationalité française. C’est la première fois que je peux voter pour une présidentielle, c’est tellement important pour moi de pouvoir faire partie de ceux qui choisissent !", dit à l’AFP, cet homme né aux Comores.
En Corse, un incident s'est produit à un bureau de vote de Patrimonio (Haute-Corse) où la serrure était bloqué par de la glue dimanche matin, entraînant un retard d'ouverture ce matin d'une demi-heure, a indiqué à l'AFP la préfecture de Haute-Corse.
En Corse-du-Sud, pas d'incident mais des tags ont fleuri sur la mairie de Propriano (tag IFF, I Francese Fora, les Français dehors) et sur des bureaux de vote à Sartène et dans les villages de Valle-di-Mezzana et Villanova: il s'agit de pochoir de la figure d'Yvan Colonna.
A Pantin, en région parisienne, Michèle Monnier, 77 ans, retraitée, ancienne gardienne d'école, a voté tôt elle aussi.
"Les femmes de mon époque se sont battues pour voter donc quelle que soit l'élection j'irai voter", lance-t-elle en sortant de la boulangerie.
À Saint-Georges-de-Mons, village de 2.000 habitants dans le Puy-de-Dôme, les électeurs se sont déplacés en nombre, se pressant dans le bureau de vote installé dans le petit musée de la commune.
- "Important de voter" -
Christine Voisin, 33 ans estime qu'il est "important de voter". Elle a suivi la campagne de loin, "mais ma voix peut faire la différence".
Pour Jean-Luc Serange, 69 ans, qui revient de la boulangerie pain à la main après avoir voté "c'est un droit qu'on ne veut pas perdre, il y a assez de pays qui ne l'ont pas."
Tous les candidats ont voté dans la matinée, avant de rejoindre leurs QG de campagne à Paris.
Parmi les prétendants semblant loin du second tour figurent les candidates des deux partis qui ont dominé pendant des décennies la vie politique en France, Valérie Pécresse (Les Républicains) et Anne Hidalgo (Parti socialiste).
L'incertitude demeure car, prévient le politologue Pascal Perrineau, "c'est la première élection qui atteint un tel taux de personnes qui sont indécises, qui ont changé d'opinion, à peu près un Français sur deux".
Commencée alors que le pays subissait une vague de Covid-19, la campagne s'est poursuivie avec en toile de fond angoissante l'invasion de l'Ukraine par la Russie, suivie d'une forte hausse des prix de certains produits, en particulier l'énergie.
- Petits duels plutôt qu'un grand débat -
A aucun moment, un grand thème d'avenir n'a été débattu par l'ensemble des candidats.
"Nous avons une sorte d'archipélisation des débats avec de petits duels", relève le sondeur Frédéric Dabi (Ifop), notamment entre le polémiste d'extrême droite Eric Zemmour et Valérie Pécresse ou entre Jean-Luc Mélenchon et les autres candidats d'une gauche fragmentée, l'écologiste Yannick Jadot, le communiste Fabien Roussel, la socialiste Anne Hidalgo ou les trotskistes Philippe Poutou et Nathalie Arthaud.
Le souverainiste Nicolas Dupont-Aignan et le député béarnais Jean Lassalle ont regretté une campagne sans débat.
Le président sortant, qui s'est toujours maintenu en tête des sondages, est entré en campagne tardivement, empêché d'abord par la crise sanitaire, puis par l'invasion de l'Ukraine par la Russie.
Il a donné un coup d'accélérateur en fin de semaine, avec plusieurs interviews, effectuant même vendredi une courte visite impromptue sur un marché de Neuilly-sur-Seine.
Marine Le Pen a elle aussi a mené une campagne atypique, s'évertuant à lisser son image et mettant au second plan, dans ses discours, ses propositions sur l'immigration et sur l'Europe, qui restent pourtant aussi radicales que par le passé.
R.Perez--LGdM